
Soumis par Sophie Durat le ven, 31/01/2020 – 11:39
Lauréate de la 17e édition de la biennale d’art contemporain-CRAC, organisée par la ville avec son installation « Propre cuisine », Marion Mounic trace, à 28 ans, un chemin qui lui est déjà personnel, oscillant entre questionnements et regard des autres. Entretien.
Qu’est-ce qui vous a amené à participer à la biennale d’art contemporain de Champigny ?
Marion Mounic : Alors que je participais à la biennale de Mulhouse en 2019, j’ai reçu un mail des organisateurs de la biennale d’art contemporain de Champigny qui me présentaient l’événement. J’ai perçu cette proposition comme l’occasion d’être montrée, d’être visible à Paris et en région parisienne. Je suis une jeune artiste qui a suivi les beaux-arts à Tarbes et travaille aujourd’hui à Sète. J’ai donc pris ça très simplement, avec l’envie de participer pour présenter mon travail.
Qu’avez-vous proposé ?
MM : L’œuvre exposée s’appelle « Propre cuisine ». Elle s’apparente à une installation inspirée de mes expériences marocaines, pays où j’ai été en résidence au cours de ma quatrième année des beaux-arts ; un pays en écho à mon histoire aussi puisque mon père est Marocain. De cette question sur mes origines, je suis venue interroger les gestes du quotidien, de la tradition et de la religion. Ainsi ce meuble haut et ouvert de cuisine porte un plateau (marocain) dans lequel est posé un livre sacré, Le Coran, qui baigne dans l’huile d’olive. Les pages deviennent transparentes ; le texte vient s’entremêler avec l’huile forçant ces éléments à vivre ensemble. Il est comme recouvert d’un liquide doré où se crée quelque chose d’autre, de précieux. Je ne suis pas croyante, et je préciserais que ce geste n’est pas blasphématoire. Simplement, l’huile d’olive vient lier tradition et religion rendant aussi visible l’ambiguïté qui me traverse dans cette quête à comprendre une culture.
Vous êtes lauréate de cette biennale, que vient dire ce prix ?
MM : Un étonnement ! Lorsque Florence (ndlr : Florence Khaloua, directrice de la Maison des arts plastiques) m’a contactée pour m’annoncer la nouvelle et, au-delà du prix -une exposition dans les deux ans à venir-, j’étais en train de travailler et je lui ai demandé si elle ne s’était pas trompée de numéro de téléphone ! Cette récompense fait suite à un prix obtenu aux Abattoirs de Toulouse en 2019. Tout tombe en même temps et vient confirmer que rien n’est impossible, d’autant que mon parcours est étrange.
« Un parcours étrange », c’est-à-dire…
MM : Au lycée, j’étais en sport étude football, ensuite j’ai intégré un BTS communication des entreprises et travaillée en agence, avec l’idée de devenir typographe ; j’étais très éloignée de l’art ! On m’a alors conseillé les beaux-arts et très vite je me suis fait aspirer par ce qui s’y passait : les rencontres, les échanges. Je me suis retrouvée à faire les choses dont j’avais envie, sans en passer par une commande client. Et là, le champ des possibles s’est ouvert… Je n’étais pas une très bonne élève à l’école et, aux beaux-arts, tout s’est inversé ; on déconstruit pour réinventer, aussi ai-je compris qu’il n’y avait pas de vérité absolue ! Dans l’après-coup, je me dis que l’art n’est pas si éloigné du sport, il y est question d’endurance, de connaissance de soi. Il faut savoir s’écouter pour aller le plus loin possible, et parvenir à créer de belles choses qui parlent aussi aux autres.
Le regard des autres est-il important dans votre travail ?
MM : Je ne me situe pas dans un champ précis, mais plutôt dans différents entre-deux, entre sculpture et installations. Par contre, je me mets à la place du regardeur et je le questionne. « Le regardeur fait œuvre » disait Marcel Duchamp, et c’est vrai que je pense l’œuvre dans un mouvement de regardeur, comme une expérience à vivre. Il y a l’idée que le regardeur vient chercher quelque chose de la mémoire collective que je donne à voir. Si mon travail se nourrit des questions personnelles, je les déplace ailleurs, dans une résonnance qui parle au collectif. Il y aurait comme un ingrédient secret, très personnel, dont je ne connais pas l’existence, mais qui de toute façon ne fait pas toute la recette !
Le collectif est-il important à vos yeux ?
MM : A commencer par la notion d’échanges qui vient rompre avec le travail solitaire de l’artiste. Je suis de cette génération qui s’empare de tout et veut faire des choses. La notion du collectif prend alors toute sa dimension pour trouver des alternatives, s’emparer des espaces, tout mettre à profit, car personne ne le fera à notre place. La question des budgets, des soutiens politiques ne doit pas être bloquante, il s’agit de faire, d’agir, et, pourquoi pas de rater… La perspective peut paraître effrayante, alors que c’est aussi par là que l’inattendu advient finalement, dans ce qui se sera passé au cours d’une élaboration, par exemple. Ca débouche alors sur de nouvelles belles choses, et en même temps sur de nouveaux questionnements, de nouveaux regards… qui mèneront vers d’autres travaux.
